La culture palliative. Dr Laure Copel, Chef du service de l’Unité de Soins Palliatifs du Groupe Hospitalier Diaconesses Croix Saint-Simo

Dr Laure Copel. Rencontre autour des soins palliatifs en Île-de-France. CRSA 5 octobre 2017.

J’ai la lourde charge de présenter les soins palliatifs dans leur globalité, c’est-à-dire le concept, les valeurs, mais aussi la réalité sur le terrain. C’est une lourde charge parce que le sujet est porteur de nombreuses inquiétudes, parfois même de fantasmes.

J’ai décidé de baser mon propos sur des témoignages de patients ou de proches, mais aussi sur des préjugés que l’on entend régulièrement.

Premier préjugé : « Les soins palliatifs sont des  services où l’on ne va que pour mourir ». 

C’est l’exemple de cette personne qui nous écrit « le plus choquant pour moi, c’était le mot, comment peut-on encaisser ou admettre ce qui signifie « maintenant, le projet, c’est de mourir ? ». Comment est-il possible que la médecine renonce ? Comment peut-on me dire que l’on ne s’attaquerait plus à la maladie mais uniquement à ses symptômes ? Mais avec vous, j’ai compris qu’en fait les équipes ne renonçaient jamais, au contraire avec vos soins, c’est la possibilité de vivre encore qui est préservée ».

Ainsi, si le personnel en soins palliatifs accepte de penser la mort, d’en parler, ou de s’y préparer, l’objectif principal des soins délivrés est avant tout orienté vers la vie : maintenir aussi longtemps que possible une qualité de vie appréciable, continuer à faire des projets, rester dans le lien social, bref rester un sujet vivant jusqu’au bout.

Et puis surtout, il faut bien comprendre que les soins palliatifs ne sont pas réservés aux derniers jours de vie, ils peuvent être proposés aux patients porteurs d’une maladie grave, très précocement dans leur parcours. En effet, avec l’aide des équipes mobiles dans les services, des réseaux à domicile ou des consultations à l’hôpital, il est possible d’apporter aux patients un suivi palliatif et un accompagnement très tôt après le diagnostic.

En 2002 déjà, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) déclarait : « les soins palliatifs sont applicables tôt dans le décours de la maladie en association avec d’autres traitements pouvant prolonger la vie ». Effectivement, les études s’accumulent maintenant pour présenter l’avantage d’une approche palliative précoce dans la trajectoire du patient. L’étude la plus connue est celle de Temel en 2010 (1). Elle a étudié 107 patients atteints de cancer pulmonaire métastatique, et donc incurables. Elle a alors comparé deux populations : 47 patients recevaient des soins oncologiques usuels; 60 recevaient les mêmes soins plus une rencontre régulière avec une équipe de soins palliatifs. Les résultats sont éloquents dans le deuxième groupe : non seulement la qualité de vie est améliorée, non seulement on voit une diminution des syndromes anxio-dépressif mais, et ce fut une belle surprise, les patients bénéficient d’une survie supérieure de trois mois par rapport à l’autre groupe. Depuis, d’autres études ont confirmé ce résultat pour d’autres pathologies. Nous avons donc bien raison de revendiquer la vie comme essence même des soins palliatifs.

Deuxième préjugé : En soins palliatifs on ne fait plus rien, les soins palliatifs sont un échec de la médecine. 

Lorsque j’entends des collègues énoncer de tels  propos (ou les suggérer, ce qui revient au même), je me raccroche à ce que m’avait dit une cousine après le décès de sa maman : « J’aimerais tellement que les autres spécialités aient fait autant de progrès que vous en soins palliatifs ! »

Et c’est vrai, nous avons de quoi être fiers : pour une discipline qui n’existait pas en France il y a trente ans, quel chemin parcouru !

– Du côté médical, il est exceptionnel que nous ne puissions pas soulager les patients, et nous utilisons selon les cas des produits très simples ou des produits beaucoup plus sophistiqués issus du domaine des anesthésistes ;

– Du côté des soins infirmiers et des soins prodigués par les aides-soignants : ils s’appuient sur des règles de bonnes pratiques sans cesse interrogées et renouvelées ;

– Enfin nos connaissances et nos compétences dans le domaine du soutien psychologique, de la relation d’aide et de la présence, sont en essor permanent, et les bénévoles nous y aident autant que les professionnels du soin psychique.

Les soins palliatifs sont donc des soins actifs. Il y a beaucoup de gestes, parfois techniques (parfois trop ?) mais la plupart du temps, ils sont juste humains.

Au final ce que nous proposons aux patients, ce sont véritablement des soins intensifs… mais des soins intensifs à visée palliative.

Troisième préjugé : Les soins palliatifs sont dogmatiques. 

Je reprends la lettre d’une proche : « Jusque-là le palliatif c’était pour moi un sujet de débat audiovisuel occupant une plage horaire à combler en fin de soirée avec des débats entre extrémistes de tout poils ».

Il est vrai que nous défendons certaines valeurs, et notamment :

  • la place des patients dans les décisions qui les concernent,
  • la limitation des investigations ou traitement déraisonnables,
  • mais aussi le refus de provoquer intentionnellement la mort.

Dire cela, n’est pas dogmatique : face à des patients qui parfois expriment leur désir de mort, j’entends leur détresse, dans un premier temps je garde en mémoire la grande labilité des patients face à ces questions et je m’appuie pour dire cela sur une étude faite récemment dans l’unité de soins palliatifs (USP) de la Maison médicale Jeanne Garnier à Paris.

Sur 2.157 patients pris en charge dans l’unité de soins palliatifs :

– 55 personnes ont demandé une fois « l’euthanasie » au cours de leur séjour ; leur demande a ensuite disparu au cours de la prise en charge ;

– seulement 4 personnes ont exprimé à plusieurs reprises une demande d’euthanasie ; pour ces 4 personnes, la demande a disparu dans le temps grâce au soulagement des symptômes ;

– seules 2 personnes ont formulé une demande persistante jusqu’à leur décès.

Ce qu’il faut retenir de cette étude :

Moins de 3% des patients font une demande d’euthanasie au moins une fois en USP ;

la grande majorité de ces demandes disparaissent au cours de la prise en charge des patients, ce qui témoigne de l’importance majeure des soins et de l’accompagnement ;

les demandes d’euthanasie « persistantes » en USP sont très exceptionnelles (0,3% des patients).

Mais il faut le reconnaître, parfois elles persistent, jamais je ne juge la personne, j’essaie simplement de proposer une alternative …

En ce qui me concerne, ce que j’aime surtout dans ce métier, c’est qu’à chaque rencontre avec un nouveau patient, je suis une véritable débutante car si j’ai pu lire son dossier médical, je ne sais rien de lui : Que va-t-il me dire ? Qu’attend-t-il de moi ? Comment interprète-t-il ce qui lui arrive et de quoi a-t-il besoin ?

C’est cette approche ouverte, bienveillante et compréhensive, qui va guider les professionnels pour proposer sans imposer (un traitement, une toilette ou une vision), pour interroger sans juger (la religion, la culture, l’interprétation) et au final pour soigner en se centrant sur les besoins du patient qui sont parfois en fin de vie bien éloignés de ce que la faculté nous apprend !

Il s’agit là véritablement d’une médiation pour trouver un accord sur les soins que nous proposons :

– C’est ce réseau qui accepte d’accompagner un patient SDF sur le trottoir, sans qu’il soit lavé parce que cet homme refuse de mourir là où il a toujours refusé d’aller : entre 4 murs ;

– C’est cette équipe mobile qui explique à ses collègues réanimateurs qu’ils doivent renoncer à ce qu’ils savent faire parce que le patient a écrit des directives anticipées ;

– C’est aussi cette équipe en USP qui accepte de faire entrer 11 jeunes en même temps dans une chambre parce que, quand on a 16 ans, on a besoin de sa tribu.

Ici le mot « accompagnement » prend tout son sens : il ne s’agit pas d’accompagner un patient sur un chemin que nous aurions décidé être le bon pour lui, mais il s’agit au contraire d’être à coté de lui, là où il se trouve, là ou se trouvent ses proches …et sur cette route, qui est la leur, et qui fait parfois bien des détours, il s’agit de proposer un soutien, un appui pour que cette route soit la moins ardue possible.

 Quatrième préjugé : Les structures de soins palliatifs sont avant tout un lieu de grand malheur.

Ne nions pas qu’il y a beaucoup de larmes en unité de soins palliatifs, et il ne faut pas les empêcher, il faut même savoir les accueillir, cependant je veux témoigner de mon expérience : on rit beaucoup dans nos services, on chante en faisant la toilette, on danse avec des fauteuils roulants, on accueille des artistes, on y célèbre des anniversaires ou des mariages…

Et puis parce que le temps est compté, il en devient encore plus précieux, et tout moment de plaisir se renforce : un massage, une promenade au jardin, un air de violon ou le dessin du petit-fils. Je suis moi-même encore étonnée lorsqu’un patient très malade et très abimé par cette maladie me dit qu’il est heureux ou qu’il va bien et que je vois dans son regard qu’il le pense vraiment

Maintenant, je voudrais pour conclure parler des proches.

Si les soins palliatifs s’adressent à la personne malade dans sa globalité – avec toutes ses dimensions physique, psychologique, sociale ou spirituelle – ils ont également pour but de s’adresser à ses proches à son entourage, afin de l’aider à cheminer, à comprendre, à accepter. Mais surtout pour les aider à oser … Oser faire des projets.

Je suis heureuse de conclure mon propos par ce joli mot « PROJET » car en 2017, les soins palliatifs sont encore un projet qu’il nous reste à construire ensemble.(Notes)

1 – Temel Jennifer, “Early Palliative Care for Patients with Metastatic Non-Small-Cell Lung Cancer”, The New England Journal of Medicine, 2010, 363-8.