Témoignage d’une bénévole

Françoise, bénévole de l’association témoigne sur l’accompagnement d’une proche

Soins palliatifs, un accompagnement exemplaire

Anne a découvert son cancer un peu par hasard. Aucune radio n’ayant été faite malgré son essoufflement, sa petite toux sèche et constante, son mal au dos et sa fatigue. Il a fallu qu’elle soit vraiment douloureuse pour que l’examen soit enfin fait.

Le diagnostic est tombé : cancer du poumon, déjà bien métastasé. Les soins ont suivi, des examens aussi à intervalles rapprochés. Une chimio bien lourde a été mise en place.

Anne est encore active, déplorant que l’oncologue la mette en arrêt maladie. Elle marche, elle lit, fait des puzzles, voit des amis, et, grande joie, chante encore malgré son essoufflement. C’est le premier confinement, elle vient pourtant chez moi à pied (1 km) et nous reprenons d’anciens chants chorals à 3 voix, avec mon mari et l’une de mes filles. On se promène dans la rue, 1h, en lisière de forêt, comme permis à cette époque. Elle est déjà bien malade, mais elle saisit de la vie tout ce qu’elle aime.

Et puis peu à peu tout se dégrade. Anne vit seule depuis 2 ans dans la grande maison familiale en banlieue parisienne. Les traitements deviennent de plus en plus lourds, avec des effets secondaires importants. Perte de l’appétit et du poids, douleurs osseuses qui ne cesseront plus, et scanners de moins en moins optimistes…

Parallèlement, elle se soigne avec des pierres (améthystes et cristal), elle devient de plus en plus mystique et m’annonce qu’on la « croit fichue », mais qu’elle sait qu’elle va guérir ! Nous comprenons tous au long des mois que rien n’est moins sûr…

C’est là que son mari, Thierry, prend les choses en mains ! Voici 2 ans qu’il est parti de la maison. Elle va mal, il décide de partiellement s’y réinstaller. Elle le souhaite profondément.  Elle est de moins en moins capable de se mouvoir. Tout lui est douloureux. Et d’un jour à l’autre la voici alitée. Elle ne se lèvera plus jusqu’à la fin.

Thierry est donc revenu, et les 3 enfants décident de revenir eux aussi s’installer dans la maison familiale. Ils ont plus ou moins 30 ans. L’une arrive de Toulon, l’autre de Bretagne, la troisième, enceinte, de la banlieue nord. Tous se mettent « en break » pour accompagner leur mère. Ils n’ont pas encore d’enfants, et cette mise en parenthèse ne leur pose point trop de problème côté travail. Voici toute la famille à la maison ! Anne en ressent une joie immense.

C’est alors que se mettent en place les soins palliatifs en HAD. La maison soudain déborde d’activité ! Finies la tristesse et l’isolement. Le lit est installé devant la grande fenêtre avec vue sur le jardin qu’elle aime tant. Une vue imprenable. Le rebord de la fenêtre croule sous les plantes et bouquets apportés par chacun, faisant un premier plan qui déborde de couleurs. Chacun s’emploie quotidiennement à soigner cette végétation.

Des infirmiers passent 2 fois/jour pour ajuster les perfusions qui sont devenues son lot quotidien tant la douleur est forte.   Ni trop ni pas assez. Il est toujours très délicat de calmer la souffrance en préservant la conscience, faire que jusqu’au dernier moment on « vive » … Une aide-soignante vient pour la toilette et le coucher du soir. Une aide à domicile réside les derniers temps à la maison pour s’assurer que chacun ne manque de rien, et aider les enfants, car il en passe du monde, au 18 rue des Hortensias !

Oui, il en passe du monde…  et chacun s’emploie avec amour, amitié, ou affection, à rendre plus douce et plus gaie la fin de vie d’Anne. Anne, sa douceur, sa simplicité, son souci des autres, sa spiritualité… On peut dire que nous nous alternons à son chevet. Chacun à sa façon.

Son grand fils lui lit des contes car elle apprécie ces récits courts qui ne sollicitent pas trop longtemps son attention, et la distraient. On lui passe des CD de chant car elle adore la musique. Ses filles viennent chanter à son chevet, s’accompagnant à la guitare. Un soir même, les voilà qui dansent dans la chambre ! Leur mère est ravie et scande le rythme de sa main devenue pourtant si maladroite. Mais elle sourit, elle rit même, et c’est pour tous un réel bonheur.

Elle mange très peu, de moins en moins. Mais elle me dit rester gourmande et « aimer manger » même si les quantités sont minimes. Alors, chacun s’emploie à faire de la cuisine, des plats nouveaux, des pâtisseries, se réjouissant de son air ravi quand l’assiette arrive.

Son mari loue un fauteuil roulant pour pouvoir l’emmener dans le jardin (on est en mai) admirer les roses, et aller observer ses ruches en pleine activité. Mais sortir ainsi au grand air l’épuise et on abandonnera vite les petites balades en fauteuil…

Enfin, et c’est une soirée magnifique, les amis du Conservatoire où elle est élève dans la classe de Chant lyrique, viennent lui faire aubade dans le jardin! En cette fin d’après-midi superbe, on a clos les volets pour que la surprise soit complète… Les amis chanteurs arrivent et se placent devant les volets clos… Et soudain… on ouvre la fenêtre ! La surprise est totale, la joie aussi ! Anne rayonne ! Son visage est si beau, lumineux. Elle trouve même la force d’applaudir ! On terminera ce soir-là par un pot gourmand auquel elle souhaitera prendre part, bien calée sur son lit par des oreillers. Le quart d’un macaron, une petite cuillère de tiramisu, 1 cm de jus d’orange… Mais le plaisir est là. Et ce plaisir, elle nous le retourne au centuple.

Anne est décédée peu de jours après ce concert improvisé, et 3 semaines avant la naissance de son premier petit-enfant. Elle voulait « tenir » pourtant, mais la mort en a décidé autrement.

Sa fin de vie a été belle. Je voulais partager cela avec vous. Bel exemple de Soins Palliatifs, quel que soit le nom qu’on leur donne.