Débat de l’ASP : Légalisation de l’Aide Médicale à Mourir au Québec

Le jeudi 25 novembre, l’ASP fondatrice a organisé un Débat avec la Dr Christiane Martel, médecin à la Maison de soins palliatifs Victor-Gadbois à Montréal et Tanguy Chatel, sociologue et membre du Conseil d’administration de l’ASP fondatrice sur le thème: Légalisation de l’Aide Médicale à Mourir au Québec : réflexions sur 5 années d’expérience.

En préambule, Jacques de Beauval remercie la Dr Christiane Martel et Tanguy Chatel. Ils se sont rendus disponibles pour une visioconférence préparée pour nous montrer les incidences concrètes de l’Aide Médicale à Mourir (AMM), tant du côté des patients que de celui des soignants. Pratiquée depuis 5 ans au Québec, elle a été l’objet de débats aussi vifs que ceux qui agitent la France actuellement. La présentation de la Dr Martel nous apportera des éléments pour réfléchir à cette nouvelle réalité qui pourrait voir le jour en France.

Historique des soins palliatifs :

En fondant, en 1967, le Saint-Christopher’s hospice, à Sidenham (Londres), Cicely Saunders crée une nouvelle approche des soins à apporter aux personnes en fin de vie qui, jusqu’alors, étaient plutôt « abandonnées » par la médecine.

« Tu es important parce que tu es toi, et tu es important jusqu’à la fin de ta vie. Nous ferons tout ce qui est en notre possible non seulement pour t’aider à mourir sereinement, mais aussi à vivre jusqu’à ta mort. »

Cicely Saunders

 C. Saunders considère la souffrance dans sa globalité, en prenant compte des liens qui se tissent entre souffrance physique, psychique, sociale, existentielle, spirituelle.

  • Après l’avoir rencontrée, le Dr Balfour Mount crée ne 1975 le premier service complet de soins palliatifs, à l’hôpital royal Victoria à Montréal, première unité de SP en Amérique du nord.
  • En 2000, le premier rapport sur la situation des soins palliatifs (SP) au Québec est publié, à la demande de l’AQSP (Association québécoise de soins palliatifs). Dans ce rapport on conclue que le citoyen est considéré comme personne importante du début à la fin de sa vie.
  • En 2009, la question du droit de mourir dans la dignité est posée. Un rapport sera déposé à l’Assemblée nationale du Québec. La commission rendra son rapport le 22 mars 2012. Il sera question pour la 1ere fois d’aide médicale à mourir.

Les lois concernant les soins de fin de vie :

Au Québec Au Canada
2013 — projet de loi + commission parlementaire
2014 — adoption de la loi concernant les soins de fins de vie
Décembre 2015 — entrée en vigueur de la loi concernant les soins de fins de vie 17 juin 2016 — loi fédérale modifiant les dispositions du Code criminel portant sur l’aide à mourir

L’État a une responsabilité : offrir des Soins Palliatifs et de Fin de Vie (SPFV) de qualité. Toute personne a le droit de recevoir des SPFV.

La loi relative aux SPFV comporte deux volets :

1) les droits, l’organisation et l’encadrement des SPFV, incluant les SP, dont la sédation palliative continue, et l’aide médicale à mourir ;

2) la reconnaissance de la primauté des volontés exprimées clairement et librement par la mise en place des directives médicales anticipées.

L’Aide Médicale à Mourir, qu’en est-il de l’évolution des lois au Canada ? 

Désormais, depuis qu’a été retiré le critère « fin de vie » (12 mars 2020), l’AMM est accessible à une personne qui, souhaitant soulager ses souffrances, peut demander à un médecin l’administration de médicaments qui entraînent son décès.

Le critère « mort naturelle devenue raisonnablement prévisible », prévu dans le Code criminel du Canada, s’est appliqué jusqu’au 11 juillet 2020.

  • Au Canada, les conditions requises sont les suivantes :
  1. être âgée d’au moins 18 ans et avoir la capacité de prendre des décisions
  2. être admissible à des services de santé financés par l’État
  3. faire une demande délibérée qui ne découle pas de pressions externes
  4. donner son consentement éclairé à recevoir l’AMM, ce qui signifie que la personne a consenti à recevoir l’AMM après avoir reçu toute l’information nécessaire pour prendre cette décision
  5. être atteinte d’une maladie, d’une affection ou d’un handicap grave et incurable (à l’exception d’une maladie mentale jusqu’au 17 mars 2023)
  6. se trouver à un stade avancé de déclin des capacités qui est irréversible
  7. ressentir des souffrances physiques ou psychologiques insupportables qui ne peuvent pas être atténuées dans des conditions que la personne juge acceptables

(https://www.justice.gc.ca/fra/jp-cj/am-ad/di-bk.html)

  • Au Québec, les conditions requises sont les suivantes ; seule une personne qui répond à toutes ces conditions peut obtenir l’AMM:
  1. être assuré par le régime d’assurance maladie du Québec ;
  2. être majeur(e) ;
  3. être apte à consentir aux soins, c’est-à-dire être en mesure de comprendre la situation et les renseignements transmis par les professionnels de santé et à prendre des décisions ;
  4. être atteint(e) d’une maladie grave et incurable ;
  5. avoir une situation médicale caractérisée par un déclin avancé et irréversible de ses capacités ;
  6. éprouver des souffrances physiques ou psychiques constantes, insupportables et qui ne peuvent être apaisées dans des conditions qu’elle juge tolérables.
  • Au Québec, les critères d’accessibilité à l’AMM ont évolué : la « mort naturelle raisonnablement prévisible » a été déclarée critère inconstitutionnel par la cour supérieure en 2019, avec des mesures de sauvegarde plus élaborées.

Tandis qu’au Canada, la « mort naturelle non raisonnablement prévisible » est un critère inclus dans la nouvelle loi canadienne (17/03/2021), avec des mesures de sauvegarde renforcées.

La Commission de surveillance des SPFV observe, sur la période 01/04/2020 au 31/03/2021, que :

  • Bien que prévue comme mesure exceptionnelle, l’AMM est un recours en progression : +39 % depuis le rapport de 2019/2020 ;
  • Les décès avec recours à l’AMM représentent 3,3 % des décès sur cette période (01/04/2020 – 31/03/2021), soit 2426 Québécois ;
  • 91 % des personnes ayant reçu l’AMM ont plus de 60 ans ;
  • 73 % étaient atteintes de cancer ;
  • 83 % avec un pronostic vital de moins de 6 mois ;
  • 48 % l’ont reçue à l’hôpital.

 Réflexion d’un médecin du Québec

La question de l’euthanasie se retrouve au centre des débats sociaux surtout dans les pays industrialisés, symptômes de notre besoin de contrôler nos vies et cela jusqu’au moment de la mort. Dans les cultures où les humains vivent davantage en communauté et près de la terre cette question se pose très peu, la mort vient à son heure. Nous sommes de moins en moins résilients vis-à-vis de la souffrance, elle fait malheureusement partie de la condition humaine. L’éviter à tout prix n’est peut-être pas toujours « la seule solution ».

Le choix des mots est assez révélateur : on préfère l’euphémisme Aide Médicale à Mourir à euthanasie. En France, les termes ne sont pas plus clairs. Au Québec, au moment où la Loi a été voté, l’euthanasie était incluse dans le Code criminel, il a fallu nommer le geste différemment.  Le suicide assisté n’a pas été légalisé au Québec nos législateurs ayant favorisé l’euthanasie alors nommée Aide Médicale à Mourir définie comme un « soin » alors de législation provincial et exclus du code criminel fédéral. Cette nouvelle expression d’aide médicale à mourir a d’ailleurs été mal comprise par plusieurs personnes confondant le terme avec « l’aide à mourir » qu’apportait les soins palliatifs.

En tant que médecin, Christiane Martel n’est actuellement ni pour ni contre ce geste d’aider à mourir. Elle est avec la personne accompagnée, sans jugement, dans une écoute active. Elle essaie de ressentir en conscience ce que ressent la personne, d’entendre sa très grande souffrance à l’approche de la fin de sa vie. « Lorsqu’un patient me demande de l’aide pour mourir cela est pour moi d’abord l’expression d’une grande souffrance que je dois comprendre pour bien l’accompagner ».

D’après des études, les souffrances ressenties par les personnes qui demandent l’AMM sont pour la majorité d’ordre existentielles. Par degré d’importance, les voici :

  1. la perte de capacité de faire des choses qui donnent du sens à leur vie
  2. la perte de capacité à effectuer les activités de la vie quotidienne (ménage, toilette, par exemple)
  3. la perte de la dignité
  4. la douleur physique pour seulement 20 à 25%

Dr Christiane Martel explique en détail l’importance de communiquer les options de soins en fin de vie pour informer la personne qui se questionne sur l’AMM et non pour la convaincre d’un choix précis.

Elle nomme l’importance de respecter ses propres limites comme soignant. Par exemple pour elle son « seuil non transgressible » est celui de donner la mort de sa propre main. « Je n’arrive pas à m’imaginer donner la mort à un de mes patients, cela est très personnel ». Cette limite elle la nomme clairement à ceux qu’elle soigne, ceux-ci à ce jour ont tous compris ce choix avec respect. Elle veille cependant à ne pas abandonner celui qui marche vers l’AMM. Elle accompagne ces personnes jusqu’au médecin qui peut lui, moralement, poser ce geste. Il s’agit de responsabiliser le patient et de le respecter dans son choix.

Ce ne sont pas tous les jeunes médecins québécois qui sont à l’aise face à la demande d’AMM. Ils sont peu formés aux soins palliatifs malheureusement. Pour plusieurs ils manquent de recul et d’expérience pour comprendre la nature et les conséquences de la demande de l’AMM. Plusieurs soignants interprètent la demande d’informations concernant l’AMM comme une demande de recevoir l’AMM et n’ont pas la conversation qu’exige une telle demande. Trop souvent la demande n’est pas questionnée ni remise en question dans une conversation intime. Certains collègues ont remarqué que jusqu’à 50 % des gens changent d’option, une fois que les choix de soins de fin de vie leurs ont été bien expliquées. (sédation palliative, arrêt de traitement, refus de traitement etc)

Bien comprendre la démarche palliative, bien connaître les soins palliatifs sont indispensables pour que l’Aide Médicale à Mourir soit administrée à ceux qui font une « vraie demande » d’AMM. L’AMM n’est pas un soin comme un autre. Il existe des inégalités importantes quant à l’accès aux soins palliatifs au Québec, leur accès à domicile par exemple est très limité.  Cette iniquité concernant l’accès à des soins palliatifs de qualité au Québec fait craindre que certains patients pourraient demander l’AMM faute de bons soins palliatifs accessibles.

La priorité devrait être de s’assurer que des SP de qualité soient accessibles partout et à tous, que l’AMM ne soit pas un choix par dépit ou par défaut. Les bénévoles peuvent aider les patients, par l’écoute et la conversation pour accompagner les personnes dans leur propre réflexion. Dans cette relation d’accompagnement, les patients doivent se sentir libre d’exprimer leurs peurs et leurs doutes face à l’AMM. Leurs questionnements sur l’AMM peuvent s’exprimer dans ces conditions de grande écoute.

Tanguy Chatel insiste sur la formation à l’écoute des bénévoles pour accompagner plus finement encore la réflexion des patients car nombreux médecins ne peuvent plus assurer cette écoute faute de temps disponible. Mener une conversation intime dans un contexte de grande vulnérabilité s’apprend. L’interdisciplinarité apparaît très importante et puissante auprès d’une personne qui demande l’AMM. Le bénévole peut être une source de réconfort, par son écoute sans jugement au cœur de la demande d’AMM.

Dr Christiane Martel soulève un point important concernant les proches des personnes qui ont reçu l’AMM. Pour certains la colère, la frustration peuvent s’exprimer après-coup, parfois plusieurs mois après le décès de leur proche. Ils manifesteront la frustration de ne pas avoir eu la possibilité d’accompagner, la colère de ne pas avoir eu la chance de prendre soin de leur proche. Très rarement, le proche parle de sa propre limite par rapport à l’AMM au moment de la demande et ce par respect de la personne qui souffre et la réaction survient plus tard. Dans certaines situations la personne souffrante qui a demandé l’AMM a même refusé que ses proches soient avisés de la date de son décès. Dans la loi québécoise, le médecin ne peut s’opposer à la volonté d’une personne demandant l’AMM de ne pas en parler à ses proches.

Tenir les grandes conversations est vraiment tout un art : elles aident à vivre jusqu’au moment de mourir et elles aident à vivre le deuil. La pandémie a révélé une amplification de la peur de souffrir et de mourir seul, isolé. Soumises à des conditions d’extrême vulnérabilité, dans une société de performance, de jugement, les personnes ont été plus nombreuses à demander l’AMM durant cette période.

À la question de savoir comment sa pratique des SP a été modifiée par l’AMM, Dr Christiane Martel explique être allée chercher plus loin en elle pour parvenir à rester en lien « de cœur » avec les personnes, même si leurs croyances sont différentes. En tant que médecin, le choix de pratiquer ou non l’AMM nécessite une réflexion profonde. Il s’agit de bien vivre avec ce choix voilà l’essentiel. La fin de vie place le médecin face à un grand sentiment d’impuissance. Il n’est pas responsable de prolonger la vie à tout prix pour éviter la mort ni de l’abréger trop rapidement si d’autres options sont acceptables par le malade. Il y a l’option des soins palliatifs. Cette option qui est celle d’accompagner sans prolonger ni accélérer la venue de la mort tout en réduisant du mieux qu’on peut la souffrance. Dr Christiane Martel se sent un meilleur médecin en SP aujourd’hui, accompagner sans juger et sans faire interférer nos valeurs personnelles est un grand défi. Accompagner un être humain dans la demande d’AMM lui aura permis de devenir une « meilleure personne ». Cette demande nous confronte à qui nous sommes et à notre capacité d’accompagner.

Jacques de Beauval conclut que l’intervention de la Dr Christiane Martel aide à élucider en profondeur les questions apportées par la pratique de l’AMM. La loi sociétale a très vite évolué au Québec. Il appelle à une mise en garde contre les dérives. Mieux faire connaître les SP, en veillant à équilibrer le factuel et le sensible, constitue un travail énorme à effectuer dans les médias, tant ceux-ci sont influents sur le politique.

Une citation pour retenir l’essentiel :

« Mais si le but poursuivi était, non de rester vivant, mais de rester humain. »  Georges Orwell (in 1984)