Les journées de l’ASP Fondatrice – Corps meurtris regards croisés

C’est à l’IFSI Paris Saint-Joseph que s’est tenue la journée de l’ASP fondatrice, le 6 avril 2019, sur le thème de « Ces corps meurtris, regards croisés ».

L’ensemble des conférences s’est déroulé à la manière d’une rencontre avec le corps meurtri. D’abord, une distanciation avec un éclairage philosophique, psychologique, psycho-corporel de la transformation du corps.

En ouverture de la journée le Pr Bernard Andrieu, philosophe à l’université Paris-Descartes, a exposé le rôle de l’écriture autobiographique qui permet à la personne malade, en tenant le journal de sa maladie, de redonner sens à son existence et de retrouver un sentiment de santé. Sylvie Dolbeault, psychiatre et cheffe du service de psycho-oncologie et social du département de soins de support de l’Institut Curie, nous a, quant à elle, expliqué l’impact psychique des modifications corporelles liées au cancer et à ses traitements. De quoi nous faire réfléchir sur les modalités du soutien psycho-oncologique nécessaires aux patients pour vivre avec le cancer qui évolue, plutôt que lutter contre, malgré le corps meurtri. Une aide possible que Véronique Cocaign, psychomotricienne à l’Hôpital européen Georges Pompidou, a pu nous laisser entrevoir par un travail qui porte autant sur le corps physique que sur sa représentation, l’image inconsciente que le malade a de son corps. C’est par l’harmonie corporelle qu’il peut retrouver un bien-être, voire surmonter son image du corps vacillante.

Ensuite, est venu le temps de l’appréhension médicale du corps : la juste posture du soignant qui ne doit pas voir que la maladie, l’ablation voire l’amputation. Séverine Alran, chirurgienne sénologue – gynécologue à l’hôpital Saint Joseph, nous a rappelé que derrière la maladie, derrière la technique chirurgicale qui laisse des traces parfois impressionnantes sur le corps, il y a un ou une patient(e), une personne à part entière. Elle ne doit pas être négligée au profit de la technicité chirurgicale car les transformations physiques sont inversement proportionnelles à l’estime de soi du patient : plus elles sont conséquentes, plus l’estime de soi du patient est touchée, et plus l’équipe soignante devra se montrer vigilante à préserver voire soigner l’image psychique corporelle du patient. Pour cela, un groupe de travail «Info-Sein» s’est formé dont le travail a abouti à un livret de questions/réponses issues des patientes, un documentaire et un webdocumentaire.

Enfin, vient l’acceptation de la faiblesse du corps, l’appropriation de son soi physique. La socio-esthétique est un soin qui permet de magnifier le corps affaibli, voire mourant, comme nous l’a montré Corinne Prat, socio-esthéticienne de l’association CODES. C’est l’art de se sentir bien jusqu’au bout et d’exister au regard de l’autre. Cet embellissement du corps qui trahit ramène du beau là où souvent tout est médicalisé.

Lorsque la maladie, même très invalidante, n’est pas visible, la personne malade peut tout faire pour qu’elle reste ignorée. C’est ce qu’a partagé Eric Balez, secrétaire général de l’association François Aupetit : atteint d’une maladie inflammatoire chronique de l’intestin depuis l’enfance, qu’il a longtemps cachée, il a réussi grâce à la solidarité associative à faire de cette expérience une richesse par la possibilité de soutien des malades entre eux. Il est devenu aussi patient expert et participe à la formation des futurs médecins et soignants en leur transmettant son expérience vécue.

Karine Massé, jeune patiente ayant été atteinte d’un cancer et soutenue par son mari Patrice, nous a raconté son éprouvant parcours, l’enchainement de traitements lourds et agressifs, les choix qui s’imposent, les difficultés aussi à sortir de cet état de malade et d’interrompre un suivi médical constant. Elle a témoigné de ce que la maladie lui avait procuré : la conscience de son propre corps, l’importance du soutien des proches et la conscience que la vie est un cadeau dont il faut jouir chaque jour.

La journée s’est clôturée sur le regard du bénévole d’accompagnement, témoin extérieur de la souffrance du corps. Nathalie de Castries, bénévole de l’ASP fondatrice à l’Institut Curie, a illustré ce regard de plusieurs récits où l’égard envers autrui n’est pas toujours simple mais riche d’enseignement dans la pratique de son bénévolat.

Ainsi, cet échange de regards croisés de professionnels, de bénévoles et de patients sur les corps meurtris nous a permis, au cours de cette journée, d’entrevoir différentes sensibilités et de mêler des postures complémentaires à l’égard du corps au regard de ses modifications, de ses expériences et de ses usages. La conclusion pourrait en être ce bel adage évoqué : « soigne ton corps pour que ton âme ait envie d’y rester ».