Le Covid-19 et le Pot de Fleurs

Le bénévolat en soins palliatifs est inscrit dans la Loi. Il est à ce titre unique. L’arrêt des accompagnements suite au confinement a des conséquences importantes pour les personnes malades et leurs proches, à la maladie s’ajoute la solitude.

Grand nombre de nos bénévoles ressentent une frustration de ne pas pouvoir être présents sur le terrain dans ces temps difficiles. Nous offrons notre tribune à Nathalie de Castries, bénévole depuis 1998.

À l’attention des représentants du Ministère de la Santé, des ARS, des responsables des établissements hospitaliers, des équipes soignantes, à vous tous qui avez oublié ce pour quoi et au profit de qui nous, bénévoles d’accompagnements en soins palliatifs, nous sommes formés et nous sommes engagés…

À l’heure du Covid-19, beaucoup de patients atteints ou non se sont retrouvés hospitalisés sans avoir le droit d’être accompagnés par leurs familles, leurs amis et les bénévoles des hôpitaux.

Certains sont morts seuls, privés de visite, de réconfort, de tendresse, de tout ce qui rend « humain » la fin de vie.

« Vivre c’est s’engager » disait Albert Camus.

En devenant bénévole d’accompagnement en soins palliatifs, je me suis engagée comme beaucoup d’autres à accompagner les patients traversant une phase critique d’une maladie grave, ou en fin de vie, ainsi que leurs proches, à faire un bout de chemin avec eux, à leur rythme et dans la même direction. Être à l’écoute des pensées humaines et spirituelles, être présente, bienveillante et accueillante, être disponible, permettre à la personne de donner du sens à sa vie jusqu’au bout : voilà la mission du bénévole d’accompagnement en soins palliatifs, et ce en collaboration avec les équipes soignantes.

Depuis la mi-mars, les institutions hospitalières obéissant aux mesures gouvernementales ont préféré soigner les patients sans nous.

Reléguant l’humain à la clinique pure et simple et pensant que nous pourrions être dangereux pour la personne malade ou en danger d’être nous-mêmes contaminés.

Nous qui nous sommes engagés depuis des mois, des années pour accompagner les plus fragiles dans la fin de vie, nous n’avions plus notre place à l’hôpital !

Je m’interroge sur notre place :

Sommes-nous si inutiles ? Sommes-nous des pots de fleurs que l’on est content d’avoir quand « tout va bien » et que l’on range au placard quand il y a une crise à traverser ?

Notre engagement est collectif puisque nous faisons partie d’une association* qui nous met à la disposition d’une structure hospitalière.

Notre engagement est aussi individuel. Si je me suis engagée, je suis responsable de cet engagement et en capacité d’en endosser les risques s’il y en a. La vie vaut la peine d’être vécue si l’on prend des risques !

C’était donc pour moi évident qu’il fallait être sur le terrain et accompagner plus que jamais les patients angoissés, isolés, en souffrance de solitude…

Au lieu de cela, on nous a demandé de cesser notre activité pour aller nous confiner et surtout ne prendre aucun risque. On vous rappellera quand ça ira mieux, quand la crise sanitaire sera terminée, quand la sécurité sera revenue.

Je m’interroge :

Je n’ai pas choisi ce bénévolat pour le confort.

Je n’ai pas choisi ce bénévolat pour être un pot de fleurs qu’on met au placard quand la situation se corse.

Je n’ai pas choisi ce bénévolat pour me tourner les pouces quand la main d’œuvre vient à manquer.

Je n’ai pas choisi ce bénévolat pour me taire sur la situation des personnes en fin de vie !

Je n’ai pas choisi ce bénévolat pour me confiner.

J’ai choisi ce bénévolat :

Pour justement dépasser le confort de la bonne santé et accompagner les personnes en souffrance. 

J’ai choisi ce bénévolat pour être présente et à l’écoute, ce que le pot de fleurs, si joli soit-il, ne peut pas faire.

J’ai choisi ce bénévolat pour m’engager auprès des soignants à prendre soin des malades.

J’ai choisi ce bénévolat pour témoigner de ce qui se vit en fin de vie, même si c’est difficile.

J’ai choisi ce bénévolat pour prendre le risque de la rencontre, du partage, de tout ce qui crée du lien, de tout ce qui fait l’humanité et la fraternité.

Mon émotion est grande, un mélange de colère et de tristesse :       

– Colère au nom de ces patients qui sont morts seuls, privés de leurs proches et du réconfort d’une main tendue, d’une écoute bienveillante, d’une présence apaisante.

– Colère d’en être encore là après tant d’années au service des patients. Nous, bénévoles de soins palliatifs serons-nous un jour reconnus ? On nous met en vitrine, cela fait bien d’avoir des bénévoles de soins palliatifs mais dans les faits, notre plus-value est-elle reconnue ?

– Colère d’être considérés comme des enfants et non comme des adultes responsables, capables de prendre le risque de se donner aux autres sans avoir besoin de tous ces filets de sécurité.

– Colère pour cette bien-pensance ambiante qui prétend imposer ce qui doit se faire au nom du risque zéro : se replier sur soi et courir le moins de risque possible !

– Colère contre cette bureaucratie administrative qui petit à petit perd de vue l’humain au profit d’un sacro-saint protocole sanitaire.

– Tristesse pour ces patients qui sont morts seuls sans revoir leur famille, leurs amis.

– Tristesse pour toutes ces années de collaboration qui donnent finalement un tel résultat car force est de constater que, bien que notre bénévolat soit inscrit dans la loi**, nous sommes relégués au rang de prestataires de services et non associés aux équipes médicales.

– Tristesse d’avoir manqué un rendez-vous important, celui d’accompagner la souffrance physique, psychique et spirituelle à un moment crucial pour le monde.

– Tristesse de penser que la main-d’œuvre de bonne volonté ne manquait pas mais que la bureaucratie administrative a freiné beaucoup d’actes audacieux et courageux.

– Tristesse de constater que la surprotection a généré quelque chose de mortifère : ce n’est pas la vie !

La Vie, c’est se confronter à la difficulté et à la souffrance en prenant ses responsabilités. C’est risquer d’attraper le Covid-19 tout comme les soignants l’ont fait, ni plus, ni moins. Ils se sont montrés à la hauteur de la situation, un grand bravo pour leur travail et leur courage !     

J’aurais aimé pouvoir être avec eux sur le terrain car qu’est-ce que la vie si nous restons confinés dans nos prisons domestiques ?

Espérons que cette épreuve du Covid-19 vienne faire bouger les lignes de notre bénévolat.    

Espérons que, lors d’une prochaine pandémie, nous puissions exercer notre mission sur le terrain de la souffrance.

Espérons que les autorités nous entendent et qu’elles nous traitent en adultes responsables.

Espérons que notre place à l’hôpital ou dans d’autres structures soit enfin reconnue comme légitime.

Car, c’est de légitimité dont il faut parler pour conclure. Tant que nous serons de gentils pots de fleurs on nous reléguera au placard. Le jour où notre place sera connue et reconnue par les institutions, nous pourrons enfin exercer nos accompagnements quelque soient les risques encourus.

C’est de cet engagement dont il s’agit, un engagement citoyen, humain. C’est une alliance contractée avec le souffrant pour l’accompagner jusqu’au bout quelque soit la situation où les événements ambiants.

Si je prenais une image, je prendrais celle d’un tsunami : quand la vague arrive, tout le monde est mouillé. Et bien nous, dans ce tsunami, nous sommes restés bien au sec !

Nathalie de Castries, bénévole d’accompagnement en soins palliatifs depuis 1998. 

* ASP fondatrice – aspfondatrice.org

** La loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs n° 99-477 et son décret d’application assurant à tout malade qui le nécessite le droit aux soins palliatifs. La loi précise que “des bénévoles, formés à l’accompagnement de la fin de vie et appartenant à des associations qui les sélectionnent […] peuvent apporter leur concours à l’équipe de soins en participant à l’accompagnement du malade”. C’est le seul bénévolat à être inscrit dans la Loi. La circulaire du 19/02/2002 précisera les détails de ces applications.