Témoignages de bénévoles d’accompagnement

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S'il n'y avait qu'une image!
Site d’Hélène Mauri bénévole d’action à l’Etre-là Grand Paris et photographe qui demande à des personnes vivant avec une maladie grave, évolutive ou en fin de vie, quelle serait l’image qu’ils aimeraient voir, avoir et qui leur ferait plaisir. Hélène la réalise ensuite pour eux et leur offre.

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Accompagner, écouter, soulager...et vivre !
Blog de Véronique bénévole d'accompagnement en soins palliatifs, qui nous propose via ses textes de partager quelques moments passés à la rencontre de l'autre, auprès des plus vulnérables. À la frontière de la mort mais pleinement dans la vie.

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Bénévole, quand arrêter ?

Bénévole depuis de nombreuses années
en Unité de Soins Palliatifs et en Unité mobile
et encore valide en grignotant le reste du 3ème âge …
Mais, encore valable ?
Le doute parfois se pointe à l’horizon
avec la fatigue comme compagnon ;
Je pèse et soupèse le pour et le contre,
suis-je encore bénévole
pour les malades ou pour moi ?
Pour moi, il n’y a pas de doute
la richesse des malades,
les contacts simples, directs, profonds
l’impression de progresser (un peu) dans l’écoute
l’équipe, les GP, l’association, les formations …
quitter tout cela n’est pas facile !
Et les malades, qu’en pensent-ils ?
les familles ? les soignants ?
Certains soirs en quittant l’hôpital,
les différents temps passés avec eux
semblent répondre à ma question.
Mais jusqu’à quand serai-je bénévole ?
Est-il un âge pour débrayer ?
Existe-il un critère pour dire d’arrêter ?
L’équipe ou l’association me diront-elles “assez“
ou bien, tout simplement je ressentirai
que ce n’est plus ma place ?
Ou bien la maladie s’en chargera ?
Qui peut le dire ?

Juin 2015

Personne ne m’a rien dit
j’ai simplement ressenti.
Ressenti la fatigue, des malaises
quand je restais le soir jusqu’à presque minuit
dans les couloirs ou chambres de Curie.
Petit à petit le doute s’est installé,
par habitude j’ai voulu le défier
mais insensiblement j’ai écouté
ce que me disait mon corps.
Ce n’était plus raisonnable
ni pour moi ni pour l’équipe
et sans doute pas pour les malades.
J’ai eu du mal à l’admettre car
je ne voulais pas lâcher les malades
je ne voulais pas quitter mon équipe
je voulais rester fidèle à mon engagement.
Mais la fatigue a insisté et finalement
j’ai dit “oui, il faut changer“.
Il faut changer mais pas abandonner.
Je peux peut-être encore apporter
une aide dans cet Univers du “Prendre soin“.
La suite n’a pas tardé, les pistes sont nombreuses !
Un EHPAD me tendait les bras.
J’en ignorais tout et j’ai découvert
qu’une grande richesse était également là,
Certes très différente de ce que j’avais vécu
mais combien humaine et faite de mains tendues,
de yeux brillants, de solitudes, de fins de vie.
Alors je ne regrette rien, rien de rien
et remercie ceux qui m’ont précédé
tous ceux que j’ai quittés et ceux qui m’ont aidé
à découvrir, à regarder, à écouter.
Un jour quand, comment et pourquoi
écrirai-je “Bénévolat : suite et fin“ ?

On verra bien…

/su_spoiler]

Vendredi 6 janvier 2017 de F.

Vendredi 6 janvier 2017.
L’hiver pour compagnon, en Ambroise Paré
Nous avons le cœur chaud et prêt à diffuser
Palliatifs en écharpe, le chalet grand ouvert
Nous donnons à qui veut, le discours est offert

Si un couple s’arrête dans une incertitude
Et que leurs yeux sincères entament le prélude
Abécédaire en tête et langue bien pendue
Nous dissipons pour l’heure quelques malentendus

La volonté au corps, bénévoles endurcis
Les rires sont présents et les larmes aussi
L’écoute est bienveillante, les pieds sont bien gelés
Et l’histoire vécue rend preuve d’humanité.

Aujourd'hui de A.
Aujourd’hui l’amorce est ainsi
Confiante et légère, aussi
À dépouiller les mots vers ce qui Est ; accéder
Lentement à sa personne et m’en approcher
En rouvrant la relation, instaurée
Petit à petit ; chacun tient la clef
Du « neuf » crée par le moment
Où s’engagent fort, ces instants
Son espace est habité
Cadeau, j’y suis invité
Pleinement, il vit son énergie
lors, son regard s’est agrandi
Agnès, accompagnant Mr H. patient SLA

Enfoui de A et M
Enfoui, engourdi l’homme jeune est assis
Peu couvert et pensif, au bout du banc il s’est mis
Quand approché par le regard, sa tête a penché
En ouvrant le visage il s’est alors raconté
Dans ce temps long d’hospitalisation
Le moral allant avec l’émotion
Cachée mais palpable ;
L’Humain remarquable
S’est dessiné en partage appuyé…
À nos présences, il s’est intéressé,
Au pourquoi d’être ici
Son sourire a tout dit
Rencontres, ô mystères
Quelques mots peuvent faire ;
Densifier l’instant
Colorer le présent

En équipe nous avançons de AG.
Aux couleurs de nos ressentis
Aux silences aussi, inscrits
Habitées nous le sommes en accompagnant
En équipe nous avançons, chemin faisant

En brassant le terreau du groupe de parole
Déposons les mots, car rien ne s’étiole
Le partage grandit
Et le souffle sourit

c'est mon plus beau souvenir de MJ.

Au début de mon bénévolat, il y a 15 ans, j’avais été prévenue par le service que dans la chambre dans laquelle je m’apprêtais à me rendre, la malade âgée n’ouvrait plus les yeux et ne parlait pas.

Je me suis assise auprès d’elle après m’être présentée, puis, au bout d’un moment, pour offrir un peu de présence moins silencieuse, je me suis mise à chanter doucement une chanson d’autrefois. J’ai commencé avec les paroles puis, au moment où je continuais la mélodie -sans le texte dont je ne me souvenais plus-, soudain, la malade ouvrit les yeux et se mit à chanter la suite de la chanson avec les paroles ! A ce moment-là, la porte de la chambre étant ouverte, un infirmier passa et surprit la scène. Il appela aussitôt ses collègues et l’on se retrouva à plusieurs, autour de cette dame, à chanter avec elle de bon cœur et à poursuivre avec d’autres chansons comme si le fait d’arrêter pouvait briser le fil de la vie revenue…… Oui, c’est mon plus beau souvenir.

il n'y a rien à expliquer de AG.

Il n’y a rien à expliquer
Sinon, que la rencontre est née
Sans pourquoi ni comment
Dans le furtif instant

De l’approche prudente
Lente, déjà liante
Par le regard enveloppant
Sans l’ombre de questionnant

Car, doucement l’essentiel s’assemble
Trouvant la place qui lui ressemble :
Celle, d’Être à Être, touchés
Accédant au sensible, perché.

Nos deux douceurs se sont rencontrées de AB.

Un jeune A. (35 ans), agrégé de Maths, marié depuis peu, est en train de partir d’une tumeur cérébrale avec séquelles pulmonaires, quintes de toux énormes qui secouent son propre corps sans forces et qui devraient l’emporter.
Ses yeux bleus immenses sont la vie même, lumineux, pleins de bonté et ils se plissent souvent pour dire qu’il est content de notre visite.
Ses mains se posent sur la mienne avec douceur. Il a beaucoup de mal à parler et cela lui demande de gros efforts. Jamais il ne se plaint.
Toujours ce sourire rayonnant et vrai. Malgré ce tableau difficile et dur, devant la souffrance et la mort annoncée d’un être jeune; ce sont des minutes de miel que j’ai vécues près de lui.
C’était un ressenti très fort d’union, d’harmonie , de paix, de légèreté, que dans mon compte-rendu, sur le cahier j’ai qualifié de cocon de soie.
J’ étais profondément émue du cadeau qu’il me faisait et l’en ai remercié, lors d’une autre visite. Il m’a dit alors « nos deux douceurs se sont rencontrées ».
C’est comme si A. m’ouvrait des portes pour accompagner des êtres jeunes avec moins de difficultés et d’appréhension, mon chemin de bénévole s’est enrichi grâce à lui.

Sound of silence (Le son du silence) de FC.

L’homme, la cinquantaine, est seul chez lui, allongé sur son lit, écoutant Radio Nostalgie. Il n’a plus l’usage de ses jambes et est dialysé depuis des années. Il en a assez de cette vie.
Ce qu’il voudrait, me dit-il, c’est « pouvoir être libre ».
« Et ce serait quoi, pour vous, être libre ? »

Il me regarde, intensément. Je le « vois », je le « sens » penser. Cela tient à quelque chose d’imperceptible, dans le rythme de sa respiration, dans le léger froncement de ses sourcils, dans la mobilité de son visage, dans sa façon de concentrer son regard sur un point précis du plafond, puis de revenir le plonger dans le mien.
Un scanner montrerait à coup sûr son intense activité cérébrale.

Le temps s’étire, mais le silence n’est pas pesant. Au contraire, il est en quelque sorte « habité ».
Au bout d’un moment, l’homme me sourit. Je lui rends son sourire et lui dis :
« J’ai l’impression d’avoir entendu votre réponse ».

Alors il confirme :
« Oui, je vous ai répondu dans ma tête ! »

De façon surprenante, à cet instant précis, la radio qu’il avait mise en sourdine à mon arrivée, égrène les premières mesures de la chanson de Simon et Garfunkel, « Sound of Silence ».

Il augmente un peu le volume. La musique est belle et vaguement mélancolique. Pour peu que nos lointains souvenirs d’anglais soient exacts, il y est question « de gens qui parlent sans se parler, de gens qui écrivent des chansons que les voix ne partagent jamais et de pas un qui ose troubler « the sound of silence » …

Chère Madame B. de F.

Je n’ai jamais connu votre prénom. Je sais seulement que vous étiez d’origine algérienne. Infiniment timide et discrète, vous ne compreniez pas que l’on puisse s’intéresser à vous.

Au tout début de notre relation, nos regards ne faisaient que se croiser furtivement au moment de nous saluer, lorsque nous entrions dans votre chambre et que nous en sortions. Ensuite, vous teniez vos yeux baissés, posiez sagement vos mains sur vos genoux, comme une femme qui ne souhaite pas se faire remarquer.
Peu à peu, vous vous êtes confiée. Vous nous avez fait le récit d’une vie laborieuse et solitaire avec peu de moyens et de loisirs, trente-six métiers, quarante misères et de faux amis qui vous avaient trahie.
Désormais, on le sentait bien, vous n’accordiez plus votre confiance à personne.

C’est par la constance de nos accompagnements, notre attention et notre fidélité à vos côtés, que nous, les bénévoles, nous vous avons progressivement apprivoisée.
Petit à petit, vous vous êtes ouverte à nous, puis au couple qui venait rendre visite à votre voisine de chambre. Vous avez jeté un regard plus bienveillant sur vous-même, avez osé enfin lever les yeux et croiser longuement nos regards.
Vous aviez de beaux yeux noirs. Lorsque nous vous en complimentions, cela vous faisait plaisir, mais en même temps cela vous gênait : aux compliments, vous n’étiez pas habituée.

Physiquement, vous vous êtes mise à aller mieux. Vos cheveux de jais ont repoussé.

Et puis un jour, vous nous avez dit : « Avant de vous rencontrer, j’étais comme une plante qui allait mourir. Vous, les bénévoles, vous m’avez fait refleurir. »
Merci, Madame B., pour ce joli compliment, si bien trouvé. Car vous savez, nous, les bénévoles, nous sommes patients et pleins d’humilité.
Comme les jardiniers.

Cher Monsieur F. de Leslie de FC.

Vous souvenez vous de la manière dont vous m’avez reçue la première fois que je suis entrée dans votre chambre ?
Vous m’aviez presque fait peur avec votre air sévère et vos questions directes : « Cela vous rapporte quoi d’être bénévole ? Et si un patient vous refuse ? Vous allez tout raconter à votre mari en rentrant chez vous ? »
J’ai vite compris que vous me testiez et qu’à votre façon vous aplanissiez le terrain pour nos futures rencontres.
Petit à petit une vraie relation s’est naturellement installée entre nous et, avec une totale liberté vous avez partagé avec moi des choses très intimes de votre vie. Vous m’avez confessé, on peut le dire ainsi, avoir été, sans vous donner trop de mal, un séducteur. Vous m’avez avoué avoir eu un enfant adultérin, ce qui est une belle preuve de confiance en ma discrétion puisque vous aviez toujours tenu cela secret.
Vous réfléchissiez, à mes côtés, sur vos comportements dans la vie et me disiez avoir souvent été courageux mais parfois aussi lâche et n’en étiez pas fier. A recommencer vous seriez différent.
Par exemple, si j’ai bien compris vous aviez été un père un peu taciturne et distant. Ici, dans le service de soins palliatifs, vous aviez découvert la proximité, la douceur et la tendresse. De jeunes infirmières venaient s’asseoir sur votre lit pour parler avec vous et vous faire un baiser, le soir, avant de quitter leur poste. Alors vous me disiez « mes fils ne me reconnaissent pas. Ici je parle, je suis affectueux et je découvre que j’aime ça. »
Je vous remercie non seulement de m’avoir dévoilé ces facettes de l’homme que vous aviez été dans toute son humanité, mais aussi de m’avoir fait réfléchir et approfondir mon rôle. Je pense souvent à vous lorsque je fais de nouveaux accompagnements comme si à votre manière, vous étiez désormais l’ordonnateur des choses.
Je vous suis reconnaissante aussi de m’avoir permis, pour une fois, de transgresser les règles de l’ASP, le jour où, apprenant que mon mari, demi-italien comme vous, devait cuisiner le soir même, des pâtes à la tomate, vous m’avez demandé de vous en apporter un peu.
La dernière fois que nous nous sommes vus vous m’avez dit « Vous n’êtes pas la bienvenue ». Cela signifiait que vous ne vous estimiez pas le bon interlocuteur habituel, comme dernier signe de votre dignité.
Je suis restée silencieuse près de vous. Je vous garde définitivement en moi.

Paix partagée de JC.

Un soir tard à l’hôpital, une infirmière me signale une malade dans le coma. Dans cette chambre sombre la malade est seule. Son visage blanc tout maigre, ses cheveux gris épars sur l’oreiller, ses yeux et sa bouche grand ouverts me font un effet sinistre.

Sa respiration est faible émaillée de légers bruits. Je m’assois à ses côtés et intérieurement je me présente et en quelques mots, lui parle de ma présence. Je suis calme et attentif à sa respiration et à son cœur dont les battements font vibrer sa chemise.

D’un coup, ce calme est interrompu par un énorme et bref soupir qui me fait sursauter. Puis sa respiration reprend de plus en plus faible et silencieuse. Seule, sa chemise me témoigne de sa vie.

Je pense à une autre malade que je dois aller voir mais il me semble évident que ma place, ma juste place est d’être là et non ailleurs. Alors, petit à petit, dans tout mon corps, je sens un grand calme m’envahir, je me sentais bien auprès de cet humain, plus rien n’est triste ni sinistre je nous sens en pleine harmonie hors du lieu et hors du temps ;

Presque une heure était passée et sa respiration s’est arrêtée Plus aucun mouvement perceptible…

Je reste encore quelques minutes pour ne pas fuir ni abandonner et vais prévenir les soignants. Leurs mercis reconnaissants je les ai donnés à cette femme qui peu à peu m’avait transmis son calme et apporté la paix peut-être partagée ?

Humain de Marie-Jeanne.

Vieille main à la peau translucide, sillonnée de veines sombres… Main de ma grand-mère, qui suscitait l’effroi de son arrière-petit-fils, me murmurant à l’oreille : « J’aime pas les vieux, ça me fait peur ! »
Main si semblable à la mienne aujourd’hui, qui suscite la curiosité inquiète de mes propres petits enfants : « Pourquoi tes veines ressortent ? Pourquoi tu es vieille ? Quand est-ce que tu vas mourir ? Pourquoi on ne peut pas savoir ? »
Main usée d’avoir tant servi, porté, manipulé, lavé, caressé…Main raide, tachée, rouillée par le temps…
Main si fine, si douce encore, si transparente, si fragile…si inutile aujourd’hui. Tu ne sers plus à rien, qu’à m’inviter à la prendre, délicatement, pour te signifier ma présence, te communiquer ma chaleur… Lorsque je presse doucement ta peau et que je glisse ma main sous la tienne, remontent, comme un souvenir, les joies et les épreuves que tu as traversées…

Tu es née au début de la guerre, « la Grande Guerre ». Comment cette tragédie s’est-elle imprimée en toi ? As-tu perdu ton père, un oncle ou plusieurs ? Que sont devenues ta mère, tes tantes ? Comment ont-elles pu continuer à vivre, malgré toutes ces larmes et ces deuils ?
Tu as travaillé jeune, dans les champs, à l’usine, au magasin ou au bureau…
Tu t’es mariée, tu as élevé tes enfants, tu t’es dépensée sans compter pour leur rendre la vie la plus belle possible. Tu les as cajolés, encouragés, corrigés parfois…Tu n’as guère connu de repos ni de vacances. As-tu été heureuse quelquefois ?

Aujourd’hui, tu es en EHPAD, veuve depuis longtemps, seule. Tes enfants se sont éloignés. L’un d’eux est mort jeune, dans un accident. Les autres sont éparpillés. Ils n’ont plus de souci à se faire : tu es à l’abri, « on » s’occupe de toi…
Tu avais consacré beaucoup de temps et de tendresse à tes petits enfants, autrefois… Aujourd’hui, ils sont adultes, ils ont leur vie, eux aussi…Ils n’ont ni le temps, ni l’envie de venir te voir.
« Cela me fait trop mal de la voir ainsi », dit l’une. « De toutes façons, si je viens, elle ne s’en souviendra pas. A quoi bon ! » ajoute l’autre.

Cette vieille main si humaine, posée sur le rebord du lit, raconte ton histoire, mais aussi la mienne et celle de tant d’autres…Je la garde précieusement, encore un instant…

Incompréhension de Marie-Christine.

La porte est ouverte. Je frappe, attends quelques instants, puis entre.
Il est étendu sur son lit, presque en position assise, les yeux fixes grands ouverts.
D’une ouverture béante au niveau du cou sort une canule par laquelle s’échappent par moments des sécrétions. Une odeur très désagréable envahit la pièce.
Je me présente par mon prénom et comme accompagnante bénévole dans le service, lui demandant s’il souhaite que je passe un moment avec lui.
Une ardoise est à ses côtés, indispensable aux patients trachéotomisés, Il me la tend mais je ne comprends pas pourquoi : il ne peut parler, c’est à lui d’écrire, pas à moi…
Mais il insiste en me tendant cette tablette noire et je vois rapidement poindre de la colère dans ses yeux. Je suis désarçonnée et ne sachant quelle attitude adopter, je prends congé, très mal à l’aise.
En sortant de la chambre, je me dirige vers la salle de soins. L’infirmière à qui je relate ma visite me prie de l’excuser : elle avait oublié de me signaler que la tumeur inopérable avait progressé, qu’elle avait envahie l’oreille et qu’il n’entendait plus.
Son regard perçant me poursuivit plusieurs jours encore. Je pensais retourner le voir et c’est avec beaucoup d’émotion que j’ai appris son décès quelques jours plus tard.

Mary-Lou, bien plus jeune que nous … de F.

Mary-Lou est née en mars 1915. Elle fêtera le mois prochain son quatre-vingt-dix-huitième anniversaire. Quand on lui dit son âge, elle a du mal à le croire. La dernière fois que je l’ai vue, pour l’en convaincre j’ai dû – sur son insistance – prendre un papier, un crayon, poser 2013, retrancher 1915, confirmant que le résultat était bien 98.
Cependant elle est restée dubitative et a exigé d’en « faire la preuve contraire » par elle-même, comme elle le faisait sans doute à l’école primaire, en ajoutant 98 à 1915, l’amenant rapidement – comme le temps passe … – à 2013.
Mary-Lou a un beau visage, fin, pâle, peu ridé, aux traits réguliers. Ses cheveux gris, mi-longs, sont toujours retenus par un catogan. Elle a de grands yeux gris-vert aux reflets changeants : sombres, elle est d’humeur maussade, voire en colère ; plus clairs, elle est rieuse, moqueuse, et peut-être ferai-je tout à l’heure les frais de son humour ravageur.
À côté des miennes, très tachées, ses mains sont magnifiques : des mains de pianiste. « de dactylo », avoue-t-elle, sur un ton qui rectifie mon erreur tout en accordant quand même une importance à son emploi de bureau, à une époque où rares étaient les femmes qui travaillaient, sinon en usine ou aux champs.
Elle est toujours très bien mise, considérant comme une politesse vis-à-vis des autres, comme d’elle-même, d’être élégante.

Sur sa table de chevet trône une photographie d’elle à vingt ans.
– Une belle nana, hein ? me prend-elle à témoin.
– Oui, Mary-Lou, vous êtes toujours belle, vous avez dû en faire tourner des têtes quand vous étiez plus jeune ?
– Avant, sourit-elle, j’étais ollé-ollé, et maintenant je suis … au lit, au lit …

Au mur est accrochée la photo d’un homme et d’un chien.
– Ma chienne, c’est Tessie, elle est belle, n’est-ce pas ?

En effet. Timidement, je demande :
– Et le monsieur ? »
– Le monsieur, c’est … C’est … Zut, je ne me souviens plus de son prénom ! C’est bizarre, hein, que je me souvienne du nom de ma chienne et pas du prénom de mon jules ?!

Sa vue est excellente. Elle ne porte pas de lunettes et, de son lit, déchiffre parfaitement tout ce qui est écrit sur mon badge. Le mois prochain, j’irai lui souhaiter son anniversaire. Elle me remerciera en me disant qu’à son âge, ce n’est vraiment plus la peine, mais elle sera tout de même touchée.

Si elle est en forme, elle me dira, pour la énième fois, le regard narquois :
– Dire que je m’ennuie à mourir … et que pourtant je ne meurs pas ! »

La vie et la Fin de Leslie.

Je me souviens de cette vieille dame, Madame M., discrète, effacée, presque anonyme, que j’ai longuement accompagnée. Fragile et recroquevillée dans son grand lit, Madame M. a une jolie frimousse pâle et couronnée d’épais cheveux blancs. Ses yeux sont bleus et laissent passer ses doutes, ses inquiétudes parfois mêlés à des éclairs de joie.
Pour les autres bénévoles cette femme, silencieuse, est triste et négative, elle traîne le malheur. Pour moi au contraire, elle est vivante, me parle, me raconte sa vie laborieuse où se sont entrecroisés souffrances, amour, joies et déceptions.

Petite fille dans une maison sans confort, c’est à dix ans à peine qu’elle voit son père se donner la mort à l’annonce de l’arrivée des allemands. Plus tard elle est envoyée l’hiver au petit matin, arracher les pommes de terre dans des terrains boueux.

Elle fait un mariage d’amour mais, pendant la guerre, son mari, commandant de marine, la laisse seule avec trois enfants.
Pour eux elle pratique la pêche de nuit que la loi interdit. Dénoncée, elle continue pourtant, la peur au ventre, pour nourrir ses petits.

Il existe un grand contraste entre cette femme forte qu’elle fait revivre et celle, passive, qu’elle est devenue, en raison d’un cancer qui la mine, en venant vivre chez sa fille mariée à un maghrébin. Au début cela n’a pas été facile compte tenu de ses préjugés. Elle les a vite abandonnés puisque cet homme est un bon père de famille et rend sa fille heureuse. Il est même gentil avec elle.

Ce qui la tourmente profondément ce sont ses relations avec ses deux fils. L’aîné habite la région parisienne, l’appelle tous les soirs mais ne vient jamais la voir. Le second a rompu tout lien sans qu’elle sache pourquoi. Peut être sa femme, qui n’est pas la mère de ses petites filles l’a-t-elle, progressivement éloignée de sa famille. Même l’aînée des petites filles, pourtant sa préférée, ne lui téléphone plus.

Madame M. admirable de dignité, ne se plaint jamais, ne demande rien, n’ose pas.
Ce fut donc sans sa demande que sa fille insista auprès de ses frères pour qu’ils viennent lui dire au revoir. Ils vinrent. Elle put mourir. Ils restèrent pour l’enterrement.

A Madeleine de Michel.

Si Madeleine n’avait pas été sur mon chemin,
Si elle n’avait pas souhaité que je sois à ses côtés,
Si je n’avais pas découvert en 1991 l’existence des soins palliatifs,
Si je n’avais pas ressenti le désir de témoigner de la difficulté de vivre aux côtés d’un conjoint qui se sent proche de sa mort,
je ne serai pas devenu bénévole à l’ASP.

Madeleine m’a entraîné dans son projet de vie, pensant qu’elle n’avait qu’une dizaine d’années devant elle. Ce que nous avons partagé a fait mûrir en moi une capacité à reconstruire une vie.
C’est grâce à Madeleine si je parviens à mieux me connaître.

Derniers instants - France culture le 3 avril 2015.

Un documentaire d'Élise Andrieu.

Pour écouter le documentaire

 

À l’écoute, un regard : les écoutants bénévoles - France culture 16 décembre 2014.

Un documentaire de Stéphane Bonnefoi et Diphy Mariani.

Pour écouter le documentaire