Le débat de l’ASP fondatrice « l’obstination déraisonnable, une situation éthique complexe » par le Pr Pierre-Louis LEGER

 

Le mardi 5 novembre, l’ASP fondatrice recevait le Pr Pierre-Louis LEGER, chef de service de la réanimation pédiatrique de l’hôpital Trousseau pour un débat sur « l’obstination déraisonnable chez l’enfant, une situation éthique complexe ». Une trentaine de bénévoles sont venus pour l’écouter et discuter. Le débat a été passionnant.

L’obstination déraisonnable est définie comme un traitement inutile et disproportionné ne visant qu’à prolonger la vie. Elle est le plus souvent envisagée du seul fait du médecin qui croit la médecine toute-puissante et n’accepte pas ses limites, mais comme nous allons le voir le malade, ou la famille dans une situation pédiatrique, peut être à l’origine de cette demande de poursuite de traitements inutiles et disproportionnés et l’équipe médicale se trouve dans une situation extrêmement complexe et face à un dilemme éthique comme dans la situation exposée.

C’est l’histoire d’une enfant de 9 ans, sans antécédents particuliers, brutalement atteinte, pendant les vacances familiales en Tunisie dont la famille est originaire, d’une maladie neurologique exceptionnelle et gravissime – probablement une forme neurologique de la maladie de Behcet – qui détruit de façon irréversible son cerveau, la plongeant dans un coma profond et aréactif, sans respiration spontanée. Elle est totalement dépendante de la ventilation artificielle mécanique. Elle est transférée en réanimation à l’hôpital Trousseau où d’emblée les parents sont informés de la gravité de la maladie et du pronostic très sombre. Cependant de nouveaux traitements sont entrepris sans succès à la suite de nouvelles explorations et de consultations de spécialistes confirmant le diagnostic et le pronostic péjoratif. Devant l’absence d’amélioration, au bout de trois semaines, lors d‘une réunion collégiale à laquelle participent les médecins et l’équipe soignante prenant en charge cette enfant, il est décidé de limiter les traitements à une prise en soins palliative et de ne pas instaurer de nouveaux traitements si une complication nouvelle advient. Une extubation terminale est envisagée, accompagnée d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès, comme la loi de 2015 le préconise. Le médecin référent de l’enfant qui est en relation proche avec les parents qu’il rencontre, informe et écoute très régulièrement depuis l’admission, leur annonce ces décisions : les parents s’opposent formellement à l’extubation.

Devant cette situation bloquée, la priorité est de sauver l’alliance avec les parents. L’équipe décide d’avoir recours à une médiation transculturelle pour comprendre, à partir de l’histoire familiale, de la culture, des croyances, les raisons profondes qui expliquent ce refus : cette enfant a une place particulière dans la famille, les parents ont une croyance mystique dans sa survie possible et attendent un miracle. La médiation permet également aux parents de mieux comprendre le contexte médical et législatif justifiant les décisions prises. Mais les positions restent inconciliables.

L’effet du refus des parents est désastreux sur l’équipe soignante qui souffre de cette incompréhension et peu à peu désinvestit la relation à cette enfant dont les soins devenus vides de sens.

Lors d’une nouvelle réunion collégiale, la décision est alors prise d’extuber l’enfant dans un délai de 15 jours. Le médecin chef de service propose aux parents qui persistent dans leur refus d’avoir recours au juge des référés pour trancher, comme la loi le leur permet. Les parents acceptent et les professionnels ont le douloureux sentiment de perdre tout contrôle de la situation. Le juge suspend la décision médicale de l’extubation et ordonne de nouvelles expertises ainsi que le transfert de l’enfant vers un autre service de réanimation pédiatrique, sans remise en cause de la décision de limitation des traitements à d’une prise en charge palliative. L’équipe vit un sentiment d’échec et de trahison mais tient bon.

Finalement, la petite fille décède dans le service, deux semaines plus tard, d’une complication entrainant un arrêt cardiaque, entourée de ses parents et de l’équipe soignante, sans aucune violence, dans une ambiance apaisée. Ce moment est ressenti comme une vraie gratification de leur investissement par tous les professionnels.

Cette terrible histoire a duré 5 mois. Elle montre la place essentielle du questionnement éthique dans toute prise de décision en fin de vie et l’importance de la collégialité où chacun peut s’exprimer, où des avis extérieurs sont sollicités pour éclairer l’équipe impliquée, la nécessité aussi de rappeler les valeurs en jeu : alliance avec les parents, empathie, respect du temps nécessaire pour cheminer vers l’inacceptable de la mort d’un enfant. 

La clarté et la transparence de l’information des parents, les rencontres régulières, l’écoute permettent d’établir et de soutenir une relation de confiance réciproque comme la fin de l’histoire l’a montré. Mais dans un contexte émotionnel aussi extrême, tous les professionnels sont mis à rude épreuve et un soutien psychologique devient une nécessité pour tenir. Depuis cette expérience, le chef de service a obtenu de la direction de l’hôpital un poste de psychologue supplémentaire pour éviter l’épuisement professionnel de l’équipe médico-soignante.

Après cette intervention qui témoigne bien de la complexité de certaines situations d’obstination déraisonnable, le Pr LEGER a répondu aux questions des personnes présentes. L’ASP fondatrice tient à le remercier vivement pour sa disponibilité.

Le prochain début de l’ASP fondatrice aura lieu au mois de février 2020.